Nos ancêtres les Carnutes par François Decaris.
République
du Centre 20 février 1975
En
cet émouvant après-midi d’été, le ciel ligérien roulait avec peine de lourds
nuages gris et noirs. Bientôt, la pluie, en grosses gouttes, se mit à tomber,
puis des grondements de tonnerre vinrent semer la panique dans Genabum et
Magdunum.
C’était
tous azimuts un inquiétant feu d’artifice. Taranis menaçait de sa roue
enflammée non seulement le Val, mais la forêt et la vaste plaine qui la sépare
d’Autricum. Un « tumulte » comme jamais Carnute n’en avait
entendu !
Cabanes,
huttes et souterrains –précaires abris si le ciel devait tomber sur les têtes
gauloises- retentissaient des cris des femmes et des enfants et d’invocations
au dieu du Tonnerre, à Teutatès et à Esus.
L’angoissante
attente de la fin du terrible orage était d’autant plus vive que les habitants
de la « cité » (chef-lieu : Autricum, Chartres) craignaient que
la fureur des dieux ajoutât à leur misère et leur humiliation.
Au
cours de cet été de l’année 51 avant Jésus-Christ qui, déjà, en son hiver,
avait été marqué par les privations et la souffrance, la louve romaine avait
cruellement réduit à l’impuissance l’un des derniers bastions de la résistance gauloise.
Le ciel pouvait-il admettre une telle défaite ? Par la soudaineté et la
violence de son intervention, Taranis ne manifestait-il pas la plus fulgurantes
des réprobations ?
Soucieux
d’instaurer sur tout l’empire naissant un certain art de vivre, Auguste
s’efforça, braves ancêtres, de vous délivrer de vos craintes inutiles. Le
successeur de César, entre autres idées politiquement excellentes, eut celle
génialement divine de transformer vos clairières en temples et de faire entrer
dans votre bucolique panthéon les dieux et les déesses officielles de Rome.
Pour
ne citer qu’une triade évoquée par Lucain, Jupiter fut assimilé à
Taranis ; Mars et Mercure fusionnèrent l’un et l’autre, tantôt avec
Teutatès, tantôt avec Esus, celui-ci répondant également au nom de Cernunnos,
le dieu à la ramure de cerf. A vrai dire, l’interprétation gauloise manquant,
plus ou moins consciemment, de rigueur, il en résulta des confusions qui
laissent aujourd’hui encore dans l’embarras archéologues et historiens.
Plus
tard, ô vénérables et vulnérables Gallo-romains, vous faillîtes embrasser le
mithraïsme (ce n’est pas l’abbé Nollent, d’Artenay, spécialiste réputé des
questions chtoniennes, qui nous contredira), puis vos dieux ne résistèrent pas
à l’apparition du christianisme. Ce fut l’époque à partir de laquelle les
« civitates » gallo-romaines deviendront à peut près toutes, les
diocèses des évêques de la Gaule chrétienne. De plus, les grands
évangélisateurs du temps, les saint Hilaire et les saint Martin, élèveront
leurs sanctuaires presque toujours dans les lieux sacrés du paganisme, de sorte
que les nouvelles générations de chrétiens s’agenouilleront aux endroits mêmes
où leurs pères avaient prié. (MM Martin, dans l’Histoire de l’unité française)
Pour
Régine Pernoud (dans Renaissance de Fleury) le bulletin des Amis de Saint,
cette rapide imprégnation de l’Evangile caractérise le monde celtique, qui,
d’avance, croyait à l’immortalité de l’âme, honorait « la Vierge qui doit
enfanter » et, mystérieusement, évoquait un dieu à tête unique en trois
visages.
Chartres
ou Saint Benoit sur Loire
Le
pays « Carnute », où, chaque année, se réunissait l’assemblée
générale des Druides de toute la Gaule, offre, avec Chartres, le plus bel
exemple de pérennité de lieux cultuels. Est-ce à dire que le chef-lieu de la
cité fut le « locus consecratus » dont parle César dans « la
Guerre des Gaules » ? Rien n’est moins sûr depuis les stupéfiantes
découvertes de Neuvy en Sullias et de Vienne en Val : le lieu consacré ne
serait autre que Saint Benoit sur Loire.
Simple
présomption, sans doute, mais n’est-elle pas suffisamment provocante pour nous
inviter à nous pencher davantage sur l’histoire de ce pays qui, de Blois à
Sully sur Loire, de Mantes, sur la Seine, aux étangs de Sologne, recevait sa
force des dieux, des prêtres, des routes, des blés et des forêts ?
(Camille Jullian)
Professeur
d’histoire au lycée Benjamin-Franklin, président de la Société archéologique et
historique de l’Orléanais, Monsieur Jacques Debal apporte une heureuse
contribution à la connaissance de nos ancêtres dont la civilisation ne s’est
pratiquement survécue que par des noms propres et des usages religieux. Ces
survivances sont évoquées tout au long d’une centaine de pages que complètent
une importante bibliographie et un répertoire des sites et musées de la région.
Le
directeur régional des Antiquités historiques, Monsieur Gilbert-Charles Picard,
rappelle fort à propos, dans la préface de l’ouvrage, que le peuple gaulois
reste un des plus mal connus du monde ancien.
Dérivé
du latin gallus, il ne convient, en toute certitude qu’aux populations qui
vivaient, au milieu du 1er siècle avant Jésus-Christ, entre la
Garonne et la Seine. Les découvertes archéologiques nous font connaître le mode
de vie de ces hommes, il correspond à une culture que les spécialistes
appellent la Tène III. Les mêmes spécialistes se sentent en droit d’affirmer
que cette culture a connu deux phases antérieures, dont la plus ancienne
commence vers 500 avant Jésus-Christ,
toutes trois selon toute vraisemblance, sont dues à des hommes de même race et
de même langue.
.
Mais
nous savons aussi, par les vestiges qu’ils nous ont laissés et par les
témoignages de leurs contemporains, que ces Gaulois, ou Celtes, comme ils se
nommaient eux-mêmes, étaient de terribles vagabonds, errant d’un bout à l’autre
de l’Europe, et même plus loin.
César
les avait trouvé fixés – à peu près – mais la plupart n’occupaient guère leurs
territoires que depuis deux siècles. Qui les avaient habités avant eux ?
Avant
la civilisation de la Tène, l’archéologie rencontre une autre culture, qu’elle
a baptisée du nom de Hallstatt. Plus anciennement encore, les hommes des champs
d’urne, qui parsemèrent une grande partie de l’Europe de leurs tombes plates, dans les premiers
siècles du premier millénaire, étaient-ils des « Proto-Celtes » ?
La
Beauce, c’était la Beauce
Au
temps de César, les Carnutes – l’un des peuples les plus puissants de la
Celtique, partie principale de la Gaule – dominaient Autricum et Genabum. Cette
implantation s’expliquerait difficilement si la Beauce avait été, comme on l’a
longtemps cru, une forêt inhospitalière. En fait, c’était à l’état naturel une
prairie dont la mise en valeur avait sans doute commencé avant la conquête
romaine. La forêt d’Orléans, qui n’a pas dû beaucoup changer au cours des âges,
formait barrière entre les Carnutes et les Sénons, laissant à ceux-ci le
contrôle de la vallée du Loing, principale voie de communication entre les
bassins de la Loire et de la Seine.
Dans
ce cadre général, se replacent une foule de données - la plupart fournies par
les fouilles – que l’auteur des « Gaulois en Orléanais » a patiemment
recueillies et clairement ordonnées, offrant au lecteur, comme le fait observer
le directeur régional des Antiquités historiques, un solide point de départ
pour sa réflexion et sa recherche.
Une
aventure passionnante
Monsieur
Debal répond à notre légitime curiosité tout en nous délivrant de cette espèce
de frustration qu’inconsciemment nous éprouvions à l’évocation de nos premiers
pas dans la connaissance de notre histoire nationale. Avec la même rigueur
scientifique qui présidait aux recherches préhistoriques de l’Abbé Nouel, - son
prédécesseur à la présidence de la société archéologique - l’auteur des « Gaulois en
Orléanais » nous plonge, pour notre plus grand profit, dans plusieurs
siècles d’histoire riches en évènements de toutes sortes sur lesquels nos
manuels scolaires sont étrangement silencieux.
C’est
une aventure passionnante que nous sommes invités à suivre, mais rien ne nous
interdit de laisser en même temps vagabonder notre imagination.
Après
un rapide rappel des découvertes locales datant de la préhistoire, de la
période proto-celtique et du premier âge du Fer, l’auteur – Nous sommes alors
au 5ème siècle avant notre ère et c’est l’époque de la Tène – nous
introduit au cœur du sujet.
Le
Mont des Elus
Le
Mont des Elus, à Mézières-lez- Cléry, retient notre attention. Deux épées
ployées ont été trouvées en 1836, dans les tombes plates creusées en son flanc.
Un mystère, ce tumulus ? Non. Erigé à proximité de la source dite de Saint
Avit et de la rivière de l’Ardoux, qui devaient être plus ou moins liées au
culte de la déesse-mère, on y inhumait, avec leurs armes, désormais inutiles,
des chefs celtes ou gaulois, afin que ceux-ci bénéficient de la protection de
ce lieu sacré.
Sur
le territoire de la même commune, le lieu-dit Beaulin tiendrait son nom de Mons
Belleni et rappellerait le culte de Bélénos, l’Apollon gaulois.
Le
loup de Blois et la pierre de Chartres
La
ville de Blois qui a un loup dans ses armes est le chef-lieu du Blésois dont le
nom vient du mot celte Blez : loup. Si la Loire, l’antique Liger, porte le
nom de la civilisation des Ligures, Chartres, l’antique Autricum, tire le sien
du peuple dont elle était la capitale. Carnute signifierait gardien de la
pierre (du radical Kar ou Gal, qui suivant les régions, prend les formes :
Gar (scandinave) Car (Etrusque) Kir (germanique) etc… Cette pierre au-dessus de
laquelle fut bâtie, sur une assise hydro tellurique, la majestueuse cathédrale,
chef d’œuvre de l’architecture gothique. Une vieille tradition veut que, près
d’un puits servant au culte, cette pierre –un autel – aurait été dédiée par les
Druides à la « Vierge devant enfanter »Virgin pariturae. Affirmation
légendaire qui, pour Monseigneur Michon, évêque de Chartres, exprime à sa
manière une vérité profonde : le profond enracinement de la dévotion
mariale dans le sol et dans le cœur des Chartrains. (Notre Dame de Chartres,
n°5, 1970) .
Une
obsession : Saint Benoit sur Loire
Depuis
les intéressantes découvertes du trésor de Neuvy en Sullias, des vestiges des
théâtres de Bonnée et de Bouzy, des divinités gauloises et romaines de Vienne
en Val, le tout dans une contrée riche en restes de la proto-histoire, le site
occupé aujourd’hui par l’abbaye de Fleury, sur les bords du « fleuve bleu
du blond Carnute », a ravi à Chartres un peu de son mystère.
On
débattra longtemps, peut-on lire dans le « Guide du Val de Loire mystérieux »
sur le point de savoir si Saint Benoit sur Loire fut on non le nombril divin de
la Gaule. Il demeure que l’influence celtique s’y manifesta avec une
particulière intensité, après que la translation des reliques de l’ermite du
mont Cassin eut officialisé la présence d’un nouveau LOCUS CONSECRATUS.
Cette
influence dans un lieu qui, dès l’antiquité celtique, rassemblait les
populations pour le culte druidique n’a rien d’étonnant si l’on veut bien
admettre l’intrusion, dans l’ordre bénédictin, à son origine, de connaissances
druidiques qui s’épanouirent avec l’art roman dont l’abbatiale, fruit d’une
longue préparation de la géographie et de l’histoire, constitue l’une des plus
heureuses réussites.
Ne
quittons pas l’antique Fleury sans évoquer une curieuse observation à laquelle
s’est livré un radiesthésiste, le docteur Etienne Testard. Le praticien aurait détecté,
sous le monument, de forts courants hydro-telluriques, voire un carrefour, qui,
selon lui, confirmeraient, comme à Chartres, l’origine sacrée du lieu. Un lieu
en tout cas dont il ne convient pas de sous estimer la particulière
sensibilité : sait-on qu’en 1893, puis en 1933, le sol ligérien trembla
avec, chaque fois, une amplitude maximum entre Orléans et Sully sur Loire.